La culture du viol s’insinue profondément dans de nombreux aspects de notre société. De manière subtile et systématique, elle banalise les agressions sexuelles et rejette fréquemment la faute sur les victimes. En France, ce phénomène alimente des débats passionnés, particulièrement dans les milieux judiciaires et les mouvements féministes. Un exemple frappant de cette problématique est le procès des viols de Mazan, ouvert le 2 septembre 2024 à Avignon, qui a révélé les failles du système judiciaire face à des pratiques normalisées par le patriarcat.

L’Affaire des Viols de Mazan : Un Cas Marquant

Une survivante brise le silence :
Le procès met en lumière Gisèle Pelicot, une femme de 72 ans, qui a courageusement dénoncé des années de sévices infligés par son ex-mari, Dominique Pelicot, principal accusé. Ce dernier, avec la complicité présumée d’une cinquantaine d’autres individus, est accusé d’avoir orchestré pas moins de 200 viols. Ces faits, longtemps passés sous silence, exposent des pratiques d’objectification et de déshumanisation de la victime, autrefois tolérées ou ignorées. Mais elles figurent aujourd’hui au centre des demandes de réforme sociale et législative.

Une défense controversée :
Si la majorité des co-accusés admettent avoir eu des relations sexuelles avec Mme Pelicot, beaucoup contestent la qualification de viol telle que définie par l’article 222-23 du Code pénal.

Selon cet article, le viol implique « tout acte de pénétration sexuelle […] commis par violence, contrainte, menace ou surprise ». Certains affirment ne pas avoir eu conscience de l’absence de consentement, mettant en avant une prétendue légitimité accordée par Dominique Pelicot. Cette ligne de défense illustre un système où le consentement des femmes est systématiquement minimisé.

Ainsi, en réfutant l’intention d’avoir commis un viol, ces derniers espèrent ainsi contourner les critères du Code pénal sur la définition du viol.

Le procès des viols de Mazan souligne l’urgence d’aborder la notion de consentement dans toutes les sphères de la société pour que les violences sexuelles ne soient pas seulement sanctionnées, mais avant tout prévenues.

Le Consentement : Au Cœur des Débats Judiciaires

Une absence légale problématique :
L’actuelle définition du viol dans le Code pénal ne mentionne pas explicitement le consentement, bien que des notions comme la contrainte ou la surprise y soient associées. Cette absence est donc ici exploitée par les co-accusés, certains affirmant que le consentement pouvait être « représenté » par l’accord donné par l’ex-mari, une logique patriarcale qui réduit les femmes à des possessions.

En effet, si certains co-accusés admettent avoir eu l’intention de commettre un viol, d’autres affirment que le consentement de Gisèle Pelicot était, de facto, acquis, puisque Dominique Pelicot leur avait donné son accord pour qu’ils aient une relation sexuelle avec sa femme – comme si cet homme pouvait consentir à sa place, dans une logique profondément patriarcale où le corps de la femme est perçu comme appartenant à son époux.

D’autres prétendent avoir interprété la situation comme un jeu libertin, dans lequel Gisèle Pelicot aurait simulé l’endormissement, minimisant ainsi leur responsabilité.

« Pas une seconde je n’ai donné mon consentement à Monsieur Pelicot ni à ces hommes qui sont derrière », a soutenu cette femme de 72 ans qui aurait été victime de pas moins de 200 viols, dont 92 commis par les 50 co-accusés.

Divisions parmi les juristes et responsables politiques :
L’intégration de cette notion de consentement dans le Code pénal français crée des divisions entre juristes et responsables politiques.

Lors d’un débat au Sénat en février 2024, Éric Dupond-Moretti, alors garde des Sceaux, exprimait ses réserves sur l’intégration explicite de la notion de consentement dans le Code pénal. Selon lui, la législation actuelle, bien que perfectible, couvre déjà implicitement ce concept. À l’opposé, des voix comme celle de Maria Cornaz Bassoli, avocate et présidente de l’association « Choisir la cause des femmes » qui déplore une définition actuelle du viol dans la loi « trop restrictive », et ne « prenant pas en compte le phénomène de sidération 1, plaident pour une réforme qui alignerait la France sur les standards internationaux en matière de lutte contre les violences sexuelles.

La Culture du Viol et ses Manifestations

Une société patriarcale permissive :
Dans cette affaire, certains co-accusés ont prétendu que Gisèle Pelicot simulait l’endormissement dans un « jeu libertin ». De tels arguments montrent comment la culture du viol excuse ou justifie les agressions sexuelles, en plaçant la responsabilité sur la victime. Cette perception reflète une normalisation des violences sexuelles et une minimisation systématique des droits des femmes à disposer librement de leur corps.

La sidération et ses implications :
Des experts, comme Muriel Salmona, soulignent que des phénomènes comme la sidération – une réaction de paralysie psychique face à un danger – ne sont pas suffisamment pris en compte dans les procès pour violences sexuelles. Ces lacunes législatives permettent aux agresseurs de contourner la responsabilité en exploitant des zones d’ombre juridiques.

Les Perspectives de Réforme

Vers une redéfinition du viol ?
Certaines figures politiques, comme Aurore Bergé ancienne ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes ou Didier Migaud, ministre de la Justice, se déclarent favorables à une réforme législative intégrant explicitement le consentement dans la définition du viol. Ce changement viserait à renforcer la protection des victimes et à moderniser le droit français en adéquation avec les recommandations internationales.

Les risques d’un statu quo :
Les opposants à cette réforme, comme Julia Courvoisier, avocate au barreau de Paris, craignent une inversion de la charge de la preuve, où le débat judiciaire se concentrerait uniquement sur le comportement de la plaignante.

Dans une chronique publiée en mars 2024, elle écrivait : « Définir juridiquement le viol par l’absence de consentement de la plaignante conduirait à déplacer le débat sur son comportement. L’infraction serait alors caractérisée dès lors que la plaignante affirme qu’elle n’a pas donné son consentement. Ça mettrait fin au débat judiciaire. » (Marianne). Cette position souligne les défis liés à l’équilibre entre justice pour les victimes et respect des droits des accusés.


Un Moment Charnière dans la Lutte Contre les Violences Sexuelles

L’affaire des viols de Mazan dépasse les enjeux individuels pour exposer les profondes inégalités systémiques dans le traitement des violences sexuelles. Elle interroge la responsabilité collective face à une culture qui banalise ces actes et met en lumière la nécessité d’une réforme législative.

En sensibilisant l’opinion publique et en appelant à des changements concrets, ce procès pourrait marquer un tournant décisif dans la manière dont les violences sexuelles sont perçues et jugées en France. La lutte pour démanteler la culture du viol est loin d’être achevée, mais des initiatives comme celle-ci rappellent l’importance de défendre sans relâche les droits fondamentaux de toutes les femmes.

  1. En septembre 2024, un arrêt de la Chambre criminelle a considéré que l’état de sidération pouvait correspondre à la surprise. ↩︎

Pour en Savoir Plus :

« La culture du viol » par Marlène Schiappa

  • Cet essai analyse comment les récits et les analyses des agressions sexuelles contribuent à banaliser et à justifier ces actes. Fnac

« En finir avec la culture du viol » par Noémie Renard

  • L’auteure explore les mécanismes de la culture du viol et propose des pistes pour la déconstruire. Fnac

« Une culture du viol à la française » par Valérie Rey-Robert

  • Cet ouvrage documenté analyse les violences sexuelles en France et déconstruit les idées reçues qui les entourent. Fnac

« Où sont les violeurs ? Essai sur la culture du viol » par Marlène Schiappa

  • L’auteure aborde la question de la responsabilité des agresseurs et analyse les discours médiatiques autour des violences sexuelles. Fnac

« Pour en finir avec le déni et la culture du viol » par Muriel Salmona

  • Cet article réactualisé en 2020 offre une analyse approfondie des mythes entourant le viol et propose des solutions pour y mettre fin. Mémoire Traumatique

« La France et le viol, retour sur 40 années de réformes » sur Village de la Justice

  • Cet article retrace les évolutions législatives en France concernant le viol et analyse leur impact sur la culture du viol. Village Justice

« Viol : savez-vous vraiment ce que c’est ? » sur France Culture

  • Cet article déconstruit les stéréotypes autour du viol et offre une perspective sociologique sur le sujet. Radio France

« La culture du viol devant la justice » sur France Culture

  • Ce podcast analyse comment la culture du viol se manifeste dans les procès et les décisions judiciaires. Radio France

2 Comments

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