La législation sur l’autorité parentale et les violences intrafamiliales a récemment été renforcée. En effet, le mardi 12 mars, le parlement a adopté définitivement son texte visant à faciliter le retrait de l’autorité parentale des parents violents et à protéger les enfants dès la mise en examen.
Ce texte vise ainsi à renforcer la protection des enfants victimes de violences intrafamiliales en facilitant la suspension de l’autorité parentale et du droit d’hébergement, dès l’ouverture d’une enquête pour violences sexuelles incestueuses ou crime sur l’autre parent.
Cette suspension demeure en vigueur jusqu’à ce qu’une décision soit rendue par le juge aux affaires familiales, le juge pénal, ou jusqu’à une décision de non-lieu du juge d’instruction.
Cependant, la décision de retrait reste à la discrétion du juge et n’est pas automatique. Si le juge décide de ne pas retirer entièrement l’autorité parentale, il doit motiver sa décision spécifiquement et peut ordonner le retrait partiel ou restreindre l’exercice de l’autorité parentale, sauf avis contraire motivé.
Isabelle Santiago, députée du Parti socialiste, souligne : « Un parent agresseur ou violent ne peut pas être un bon parent. Il faut savoir qui l’on protège. »
Nous sommes en 2024, même si ce texte est une grande avancée pour les victimes, il est consternant que rien n’ait été fait avant.
A ce titre, combien d’enfants ont dû retourner chez le parent agresseur ? incestueux ? car ce dernier était encore titulaire de l’autorité parentale ?
Par ailleurs, la France a du retard dans ce domaine. L’Espagne bénéficie d’une des lois les plus protectrices dans le monde. Une loi-cadre intitulée : « Mesure de protection intégrale contre les violences conjugales » a en effet été votée en 2004. Elle a été complétée en 2017 par une loi « pacte d’État » contenant 290 mesures interministérielles.
En pratique, ces lois se concrétisent par la mise en place d’équipes de police spécialisées et dédiées au suivi des affaires, de tribunaux spécialisés pour traiter les cas de violence liée au genre tant au civil qu’au pénal, ainsi que par l’assurance d’une protection complète et immédiate de la victime. Cette protection peut même s’étendre jusqu’à l’octroi de l’autorité parentale exclusive à la victime.
Depuis le vote de la loi globale en 2004, l’Espagne adopte une perspective féministe. La loi ne parle pas de violences intrafamiliales ou de violences au sein du couple mais bien de violences de genre.
Cette législation exhaustive englobe la prévention des violences à travers des mesures juridiques, psychosociales et économiques, et reconnaît les enfants comme des victimes directes.
La France a déjà emprunté des idées à l’Espagne. Par exemple, en 2010, l’ordonnance de protection a été élaborée en s’inspirant d’un dispositif similaire mis en place en Espagne en 2003. De même, pour instaurer le téléphone grave danger, le gouvernement français s’est basé sur le modèle espagnol du téléphone « A templo ».
Modèle législatif espagnol : avancées majeures depuis 2021
1 – Suspension automatique des droits de visite pour les parents violents
Depuis septembre 2021, une loi clé en Espagne instaure la suspension automatique des droits de visite pour les parents faisant l’objet de poursuites ou de condamnations pour violences conjugales ou violences exercées sur leurs enfants (Loi organique 8/2021 sur la protection intégrale des enfants et des adolescents contre la violence). Cette suspension est également appliquée lorsqu’il existe des indices sérieux de violence sexiste, même si aucune poursuite pénale n’a encore été engagée. Cette mesure vise à renforcer la protection immédiate de la victime et des enfants, en éliminant les risques associés aux contacts avec le parent agresseur.
Cependant, cette disposition inclut une flexibilité : le juge peut, sous réserve de motiver sa décision par l’intérêt supérieur de l’enfant, rétablir le droit de visite pour le parent concerné. Cette garantie vise à éviter les abus potentiels tout en maintenant une priorité absolue à la sécurité des enfants. Selon un rapport de l’Institut des Femmes espagnol (Instituto de las Mujeres), cette loi a permis une réduction notable des situations de danger, en empêchant le maintien forcé de liens entre les enfants et un parent violent.
2 – Renforcement des droits des mineurs et accès à des soins adaptés
L’Espagne s’est également distinguée par une approche proactive concernant les droits des enfants. La législation garantit leur droit à être entendus et écoutés tout au long des procédures administratives et judiciaires, avec des informations adaptées à leur âge et leur maturité. Ces garanties visent à les protéger non seulement physiquement, mais aussi psychologiquement, en reconnaissant pleinement leur rôle de victimes directes des violences.
Un aspect particulièrement innovant est l’interdiction des approches non fondées scientifiquement, comme le syndrome d’aliénation parentale (SAP). Ce concept, qui suppose une manipulation d’un parent sur l’enfant pour discréditer l’autre parent, est explicitement écarté des procédures judiciaires en Espagne. Le Conseil Général de la Magistrature espagnole considère que ces théories peuvent être utilisées pour invalider les témoignages des enfants et renforcer l’impunité des agresseurs.
Enfin, la loi facilite l’accès des enfants à un suivi psychologique, sans nécessiter l’accord du parent violent. Si la mère (ou le parent protecteur) est reconnue comme victime de violences par une institution accréditée, les enfants peuvent bénéficier d’un soutien, même en l’absence de poursuites pénales. Ce dispositif garantit que les besoins psychologiques des mineurs soient pris en compte de manière prioritaire.
Un cadre exemplaire en matière de protection infantile
Ces mesures, inscrites dans le cadre de la Loi organique 8/2021, consolident la position de l’Espagne comme un modèle législatif en matière de protection contre les violences intrafamiliales. Le pays se distingue par une vision globale et féministe, mettant en avant l’intérêt supérieur de l’enfant tout en adressant les aspects structurels et sociaux des violences.
En associant des lois strictes à un cadre budgétaire et administratif solide, l’Espagne est reconnue comme l’un des leaders mondiaux dans ce domaine (source : Conseil de l’Europe, rapport sur les droits des enfants dans le cadre des violences de genre).
La France a encore une vision patriarcale de l’autorité parentale.
Ainsi, malgré cette avancée en Mars 2024, Il est dommage de constater qu’en France la suspension de l’autorité parentale ne soit pas automatique pour les violences conjugales. Pourtant, nous trouvons tout un arsenal pour qu’un juge suspende ce droit. Mais est-il vraiment utilisé ?
Et nous ne parlons même pas des fameuses « enquêtes sociales » où trop souvent la mère victime de violences conjugales passe pour un parent « fusionnel » qui peut « manipuler l’enfant avec une vision négative de l’autre parent« , et qu’en conséquence un droit de visite en milieu neutre lui sera favorable…. Avec tout une armada de clichés que l’on peut lire dans certains rapports.
Dans les situations de violence conjugale, il peut être difficile pour le parent victime de partager l’autorité parentale. En effet, le parent agresseur utilise souvent cette autorité parentale partagée pour continuer à intervenir, parfois de manière quotidienne, dans la vie de son ex-partenaire, en s’appuyant sur ce rôle.
L’exercice de l’autorité parentale exclusive est l’une des mesures que la victime peut demander dans le cadre d’une ordonnance de protection. Mesure inspirée du modèle espagnol justement.
Le Juge aux Affaires Familiales peut ainsi décider que le droit de visite du parent auteur de violences s’exercera dans un espace de rencontre (mise en place du droit de visite médiatisé) ou que la remise de l’enfant s’organisera avec l’assistance d’un tiers de confiance.
Ce droit de visite en lieu médiatisé est une absurdité.
Où est l’intérêt supérieur de l’enfant ? À qui l’on demande d’aller voir le parent qui l’a agressé ? Ou dont il a vu agressé l’autre parent ? En quoi cela peut l’aider à l’avancer ?
Les médiations tant pénales que familiales sont à proscrire.
Dans cette optique, c’est l’agresseur qui est aidé. Et on demande aux victimes de faire un effort, de faire dans la « médiation« . Ainsi, dans un contexte de violences conjugales, la question se pose de savoir si ce principe ne se retourne pas contre l’intérêt de l’enfant.
Qu’est-ce que l’autorité parentale au juste ?
L’autorité parentale se définit comme l’ensemble des droits et devoirs d’un parent ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant, c’est à dire sa protection, son éducation et le respect de ses besoins fondamentaux, dont en tout premier lieu son besoin de sécurité.
Indépendamment même de toute violence directe contre l’enfant, l’homme violent conjugal démontre qu’il ne prend pas en considération les besoins fondamentaux de son enfant.
La notion de coparentalité, établie par la loi du 4 mars 2002 et basée sur l’idée que l’éducation par les deux parents est dans l’intérêt de l’enfant, est en soi un principe louable. Cependant, comme tout principe, il doit pouvoir faire face à des exceptions. Les violences conjugales en sont une. Il est crucial de comprendre que, suite à une séparation, un homme violent utilisera son autorité parentale pour maintenir son emprise et exercer des violences sur la mère et les enfants. Son objectif sera de maintenir son contrôle sur son ex-compagne, sans tenir compte de l’intérêt réel des enfants.
En maintenant le partage de l’autorité parentale dans le cas de violences intrafamiliales, c’est à l’enfant que l’on fait courir un risque en empêchant le parent protecteur de jouer son rôle, c’est à dire de permettre à l’enfant d’évoluer, de se développer en toute sécurité.
Perpétuer la coparentalité avec un conjoint violent revient à permettre la continuité de ses actes violents avec l’aval de la loi.
Pour conclure, notre société place les femmes victimes de violences conjugales face à une injonction contradictoire.
D’un côté, elles sont incitées à quitter leur conjoint violent pour protéger leurs enfants des traumatismes profonds auxquels ils sont exposés. Mais, de l’autre, une fois cette séparation courageusement entreprise, la justice leur impose souvent de maintenir un lien avec leur agresseur, sous prétexte qu’il reste le père des enfants. Cette idée persistante qu’un conjoint violent puisse néanmoins être un bon père reflète une vision patriarcale de l’autorité parentale, encore largement ancrée dans notre système.
Cette conception place l’autorité parentale comme un instrument juridique, non pas centré sur la protection de l’enfant, mais souvent orienté vers la reconnaissance automatique des droits du père. Dès lors qu’une filiation biologique est établie, on présume qu’elle doit nécessairement s’accompagner de droits parentaux, y compris un lien direct et des rencontres avec l’enfant, indépendamment du contexte de violence.
Pourtant, la filiation biologique et l’exercice de l’autorité parentale sont des notions distinctes. La filiation peut exister sans que l’autorité parentale soit exercée. En sacralisant cette dernière, la société tend à oublier que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur les droits des parents. Revoir cette approche est essentiel pour garantir un véritable cadre de sécurité et de bien-être aux enfants, en rompant avec des traditions juridiques dépassées.
Les violences conjugales révèlent toujours une dangerosité extrême dans la parentalité.
Pour Approfondir :
Articles et ressources en ligne
- Ministère de la Justice (France) – Autorité parentale et violences intrafamiliales
Informations officielles sur les mécanismes juridiques existants pour protéger les enfants et les victimes de violences domestiques.
👉 justice.gouv.fr - Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes (HCE) – Rapport sur la protection des enfants exposés aux violences conjugales
Un rapport approfondi avec des recommandations pour améliorer les réponses judiciaires et sociales.
👉 haut-conseil-egalite.gouv.fr - Observatoire National de la Protection de l’Enfance (ONPE) – Enfants et violences intrafamiliales
Études et analyses sur l’impact des violences domestiques sur les enfants, incluant des données statistiques.
👉 onpe.gouv.fr - CIDFF (Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles)
Ressources juridiques et accompagnement pour les femmes et enfants victimes de violences intrafamiliales.
👉 cidff.info
Livres et ouvrages
- « Violences conjugales et parentalité » – Sylvie Cromer et Jeanne Defontaine
Ce livre examine les contradictions de la coparentalité en contexte de violences conjugales et propose des solutions centrées sur l’intérêt supérieur de l’enfant. - « Les enfants exposés aux violences conjugales » – Émilie Notaire
Cet ouvrage explore les effets des violences intrafamiliales sur les enfants, avec une analyse juridique et psychologique des conséquences. - « L’autorité parentale en question : violences, emprise et justice » – Noémie Schaeffer
Une réflexion critique sur la notion d’autorité parentale face aux cas de violences intrafamiliales et sur les limites du système judiciaire. - « Parenting by Men Who Batter: New Directions for Assessment and Intervention » – Lundy Bancroft
Bien qu’anglophone, ce livre est une ressource incontournable sur la parentalité des hommes violents et les impacts sur les enfants.
Rapports et études
- Conseil de l’Europe – « Les enfants, premières victimes des violences intrafamiliales »
Ce rapport analyse les politiques européennes pour protéger les enfants dans un contexte de violences domestiques, avec des comparaisons entre différents pays.
👉 coe.int - UNICEF – « Behind Closed Doors: The Impact of Domestic Violence on Children »
Une étude internationale qui met en lumière l’impact des violences conjugales sur les enfants et recommande des mesures de protection.
👉 unicef.org - Défenseur des Droits – « Les droits de l’enfant face aux violences conjugales »
Rapport détaillé sur les failles dans la protection des enfants victimes et témoins de violences conjugales en France.
👉 defenseurdesdroits.fr
Organisations et initiatives
- Solidarité Femmes
Réseau associatif qui accompagne les femmes victimes de violences conjugales, incluant des services pour les enfants et des aides juridiques.
👉 solidaritefemmes.org - Enfance et Partage
Organisation spécialisée dans la défense des droits des enfants victimes de violences. Ils proposent des conseils juridiques et des services d’accompagnement.
👉 enfance-et-partage.org - Fondation des Femmes
Propose des guides juridiques et une aide aux femmes confrontées à des litiges concernant l’autorité parentale dans des contextes de violences.
👉 fondationdesfemmes.org - APIAF (Association de Pratiques et d’Interventions autour des Violences)
Propose un accompagnement juridique et social aux femmes et enfants victimes de violences intrafamiliales, avec une expertise spécifique sur l’autorité parentale.
👉 apiaf.fr
Vidéos et documentaires
- « Enfants en danger : les violences conjugales au cœur de la justice »
Documentaire diffusé sur France Télévisions qui suit des affaires judiciaires autour de l’autorité parentale et des violences intrafamiliales. Disponible en replay sur france.tv. - TEDx : « Les enfants témoins de violences conjugales » – Intervention de Florence Ajzenkopf
Une conférence poignante sur les impacts des violences conjugales sur les enfants et l’importance d’adapter le cadre juridique.
👉 ted.com - « La Justice face aux violences intrafamiliales » – Arte
Une analyse des dispositifs judiciaires en France et à l’étranger pour protéger les enfants dans des cas de violences domestiques.
👉 arte.tv
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